Les Mots de Louise
Les mots de louise
son nom».
Cette femme brillante, née en 1902, a fréquenté tous les grands noms de la littérature et de la musique de son temps, rencontrant de nombreux compositeurs lors des concerts organisés chez la comtesse Marie Blanche de Polignac. Soutenue dans sa démarche créatrice par des hommes tels que Jean Cocteau, André Malraux ou encore Jean Hugo, elle a laissé son empreinte très caractéristique faite de poésie, d’un imaginaire riche et d’un univers fantaisiste qui fit écrire à Cocteau en 1934 : «…mais je ne savais pas que vous aviez du génie. Je vous adore».
La poésie de Louise est toute en sensualité, en suavité, et pleine d’une attachante folie. André Malraux disait d’elle que c’était une fantaisie impulsive et féérique : « L’importance de cette poésie, c‘est qu’elle est à contre-courant de la poésie contemporaine, une poésie orale. Quelqu’un parle ». Ses textes sont imprégnés de doubles lectures, si bien que la comtesse de Polignac avait écrit à Louise qu’ Eau de Vie était : « …l’indécence même et contenait des images et des aveux dignes de faire rougir le confesseur le plus large d’esprit ».
Notre rencontre avec elle s’est faite, comme pour beaucoup, par la découverte des mélodies de Francis Poulenc ornant ses mots. S’en est suivie une recherche sur ce qui avait été composé par d’autres, compositeurs ou compositrices. Nous avons découvert de nombreuses pièces dont certaines semblent oubliées ou du moins délaissées des récitals et pour beaucoup n’ont jamais été enregistrées.
Ainsi, Louise Marie Simon dite Claude Arrieu, Georges Auric, Monique Gabus, Georges Van Parys et Pierre Petit ont composé et été inspirés par les poèmes de Louise et, à la découverte de cette richesse s’est révélée une irrépressible envie d’enregistrer et de créer un récital de ce bouquet d’œuvres.
Si Louise de Vilmorin fut mise en musique de son temps, notre époque en utilise moins le verbe, c’est la raison pour laquelle nous avons sollicité un compositeur, amoureux des mots et des belles plumes, en la personne de Benoît Menut.
L’inspiration initiale a été la relation amoureuse et les fiançailles entre Louise et Antoine de Saint-Exupéry. Si ce dernier a beaucoup écrit pour Louise, elle n’était qu’aux balbutiements de sa carrière littéraire et n’a pas écrit de poésie à cette époque. Ces fiançailles, rompues du fait de la passion d’Antoine pour l’aviation et de sa situation financière, marqueront longtemps le jeune homme qui lui écrira : «Je t’aime comme si j’avais l’espoir que cela puisse te rendre heureuse». Ce cycle en deux temps sera écrit à partir de deux poèmes de Louise: L’amour toujours attend et Plus jamais.
En ce qui concerne la commande toute particulière de ce projet, le cycle de Benoît Menut « Un amour », l’inspiration est de parler de la relation entre Louise de Vilmorin et Antoine de Saint Exupery. Le premier s’appelle L’amour toujours attend. Il est issu du premier recueil de poésie (1939) écrit par Louise. De ses propres confidences, elle l’a créé à partir de ses amourettes de jeunesse, lorsque jeune femme, elle aimait se laisser aller à la séduction avec les amis de ses frères. Antoine est lui aussi un amour de jeunesse, auquel elle s’est fiancée et l’on trouve dans ce poème plusieurs allusions aux fiançailles : le mot « fiançée », « traîne », « épouse », et « anneaux ». J’ai choisi d’interpréter l’amante comme étant la personnification de la passion d’Antoine pour l’aviation, l’une des raisons qui ont rompu leurs fiançailles. « Tu suis le chemin qui l’enchante (son amante) ». Plusieurs allusions sont faites aussi à la séparation et à la distance, qui, même si elle n’est pas la première cause de cette rupture, peut expliquer le délitement de leur attachement mutuel. Ce poème pourrait évoquer la passion dévorante d’un homme qui finit par le séparer de la femme qui l’aime, comme Antoine qui a finalement choisit de voler.
Après un passage au piano seul pouvant évoquer la rupture entre les deux amants et la douleur de la distance, c’est Plus jamais – issu du deuxième recueil de Louise qui vient clôturer ce cycle. J’ai trouvé intéressant qu’il soit écrit plus tard (1954), et le titre du recueil « L’alphabet des aveux » m’a inspiré l’évocation des regrets et des amours inavoués. Ici, Louise évoque un amour disparu, qui ne reviendra jamais. La répétition du « plus jamais » impose une sentence définitive, qui ne peut m’évoquer que la mort. Après s’être difficilement remis de la rupture, Antoine s’est finalement marié. Louise l’a appris indirectement et gêné par la manière dont elle avait pu l’apprendre, il lui avait écrit une lettre : « Je t’aime comme si j’avais l’espoir que cela puisse te rendre heureuse ».
Or, Antoine a disparu en vol en 1944, son amante l’aviation a fini par l’emporter et ce texte a été écrit 10 ans après sa mort. J’ai aimé la dernière phrase du poème de Louise « Adieu. Je ne suis pas lassée de ce que je n’ai pas atteint », car pour moi c’est la plus belle évocation de cet amour. Un amour inachevé, comme une histoire qui n’a pas commencé. Un Amour se veut au fond être un dialogue intérieur dans lequel le piano n’est pas qu’un élément d’accompagnement. Il porte la voix certes, mais il a sa fonction propre de part ses éléments solistes. Il serait un somme un « personnage imaginaire » évoquant la figure masculine de l’amant.